Répartition de la valeur chez Mu [1/3] : Pourquoi nous préférons rémunérer le travail plutôt que le capital ?

Par François-Xavier Ferrari

 

 

Depuis les rapports des experts du GIEC [1], à ceux des économistes du Laboratoire sur les Inégalités Mondiales, en passant par les chercheurs de l’Université du Maryland s’appuyant sur des outils développés par la NASA, il paraît clair qu’une trop forte inégalité économique mène à l’insoutenabilité des sociétés humaines (tout autant qu’une mauvaise gestion des ressources) [2] et que les inégalités économiques n’ont jamais été aussi fortes depuis la fin du 19ème siècle [3].

Au-delà des idéaux de justice sociale, une répartition plus équitable des richesses est peut-être bénéfique pour la stabilité du système et donc bénéfique pour tou·te·s, riches, ultra-riches, ou pas !

Aussi, comme Mu vise à être une entreprise en cohérence entre ce qu’elle fait et la manière dont elle le fait, elle a été créée en 2010 sous forme de SCOP (Société COopérative et Participative) et dès lors la question de la répartition équitable des richesses générée est un sujet qui nous travaille et que nous travaillons tous les jours depuis plus de 13 ans 😊

Voici le premier article d’une série portant sur la répartition de la valeur chez Mu.

La répartition des bénéfices annuels en SCOP💰

La principale originalité de la SCOP réside dans le fait que les associés majoritaires de l’entreprise sont des salarié·es et détiennent au minimum 51 % du capital. Cela signifie que l’outil de production qu’est la SCOP appartient majoritairement aux producteurs qui la composent et non à des actionnaires extérieurs. Chez Mu 100% du capital qui est détenu par dix de ses seize salarié·es !

Une autre originalité des SCOP est une plus juste répartition de l’« excédent net de gestion » (autrement appelé « profit ») de l’entreprise qui est réparti en trois parts :

une part « entreprise » : les réserves, qui doivent être au minimum de 16 %

une part « salarié·es » (qu’ils soient associés ou non) : la participation, au minimum de 25 %

une part « capital » : les dividendes, qui eux sont limités au maximum à 33 % des bénéfices

À titre de comparaison, entre 2009 à 2016, les entreprises du CAC 40 ont reversé en moyenne 67,5% des bénéfices en dividendes, 27% dans les réserves et 5,5% en primes pour les salarié·es [4]. Cette tendance à rémunérer le capital plus que le travail s’est creusé sur la dernière décennie : entre 2011 et 2021, dans les 100 plus grandes entreprises françaises cotées, la dépense par salarié·e n’a augmenté que de 22 %, tandis que les versements aux actionnaires ont augmenté de 57 %. Cette tendance s’est même accentuée en période de crises : en 2022 la rémunération du capital des entreprises du CAC 40 a augmenté de 15,5 % par rapport à l’année précédente, année qui était déjà un record absolu avec environ 70 milliards d’euros versés sous forme de dividendes et rachats d’actions [5].

Et concrètement chez Mu, comment cela se passe-t-il ? 🔎

Sur les 13 ans d’exercice, Mu a réparti ses bénéfices en deux parts égales : 50% ont été reversés aux salarié·es (sous forme de parts travail et synonyme de prime collective), et 50% mis en réserve, autrement dit réinvestis dans Mu ! Ces choix ont permis de rendre Mu plus résiliente et plus attractive. 💪

Résiliente, car les réserves sont le patrimoine propre de la SCOP, impartageables et impossible d’incorporer dans le capital social ou de distribuer aux associés. C’est un « trésor » qui appartient la coopérative et qui peut servir à l’investissement, la consolidation ou l’amélioration de l’outil de production. Même en cas de liquidation de la SCOP, les réserves ne peuvent en aucun cas revenir aux membres de la coopérative, mais elles peuvent être transmises à une association, une collectivité ou à une autre SCOP, afin d’être intégré, pour la renforcer à son tour, à ses réserves.

Attractive, car la part travail est une prime collective témoin de la performance de Mu ! Elle est distribuée de façon égalitaire et sur la base du temps de présence sur l’année passée. Un accord de participation avantageux pour Mu et ses salarié·es a été mis en place : si la participation annuelle reste bloquée durant 5 ans, ce revenu n’est pas soumis aux cotisations sociales ni à l’impôt sur le revenu ; en contrepartie cette somme alimente la trésorerie de Mu, tout en restant due aux salarié·es. Ainsi ce mécanisme contribue à récompenser (à juste titre) le travail effectué par les salarié·es et a représenté en moyenne et depuis 13 ans, tout de même 2 600 € net par an et par salarié·es.

Mais derrière cette répartition des bénéfices se cache également un choix politique et un geste militant : celui de ne pas rémunérer le capital, rémunération souvent associée aux risques pris et aux efforts consentis par les fondateurs et premier·es associé·es, dans notre cas par les premiers coopérateurs et coopératrices ! ✨

Merci François-Xavier Ferrari pour l’écriture de cet article et à Anthony Boule, à Sivaranjani Selvaradj, à Rachel Arana et à Amaïa Danel pour leur contribution 👏👏👏

Références et notes de bas de pages

[1] Pour les experts du GIEC « la justice sociale et l’équité sont des éléments centraux des trajectoires de développement favorisant la résilience face au changement climatique qui visent à limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C » (source : IPCC, Roy et al. (2019). Rapport spécial Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Résumé à l’intention des décideurs, disponible ici : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf)

[2] Motesharrei et al. (2014). Human and nature dynamics (HANDY) : Modeling inequality and use of resources in the collapse or sustainability of societies

[3] Chance, Piketty et al. (2021). Worl Inequity Report 2022

[4] OXFAM, (2018). CAC 40 : Des profits sans partage (disponible ici : https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2023/06/Rapport-Oxfam-SBF-_dividendes_DEF.pdf)

[5] OXFAM (2023). Top 100 des entreprises : L’inflation des dividendes (disponible ici : https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2023/06/Rapport-Oxfam-SBF-_dividendes_DEF.pdf)

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